Tu as faim, en deux clics tu te fais livrer un Deliveroo. Tu te materais bien une série ? Allez hop, tu te jettes sur Netflix. Tu as mal quelque part (sans que Maîtresse en soit à l’origine pour une fois) ? Tu prends un cachet chimique. Un tour au supermarché ? Pas question de faire la queue à la caisse, c’est trop pénible. Un plan cul ? un petit coup de Tinder. Tu es tellement habitué à avoir tout, tout de suite tel un enfant gâté de la société de consommation dopé à Amazon Prime livraison en 24h, que tu ne sais peut-être plus ce que le mot « frustration » signifie…
En amour, le moment où tu montes l’escalier n’est-il pas le meilleur ? Si l’ascenseur te propulse trop vite au 7ème ciel, ne passes-tu pas à côté de l’essentiel ? Le cheminement, l’histoire. En t’autorisant à vivre ta soumission, un nouvel univers s’offre à toi, une dimension à contre-courant de l’époque. Le BDSM, c’est le royaume de la frustration où prendre son temps, patienter, rêver, fantasmer, est gage de plaisirs cérébraux intenses.
J’ai déjà reçu ce genre de demande un poil paradoxal : « Bonjour Madame, pouvez-vous me recevoir dès cet après-midi pour une séance autour de la frustration ? » Comme dit ma consoeur Madame Lule, « certains prennent les Dommes pour des tirettes à pop-corn. » Voilà pourquoi si tu prends contact avec moi, il sera rarissime que tu obtiennes un rendez-vous le jour même. Dans deux ans peut-être… Non je blague, quoique… Attendre au moins 24 heures, trois jours, une semaine, un mois, cela fait déjà partie de la séance. Tu t’inventes un film, tu tentes de te représenter les lieux, ma tenue, ma voix. Tu m’imagines riant du sort que je te réserve. Tu te refais le scénario des dizaines de fois sachant qu’arrivé chez moi, tu perdras de toute façon le contrôle. Tu passeras alors du fantasme à la réalité et tu n’auras pas fini d’être frustré. Tu admireras mes bas, mes escarpins hauts perchés, mes courbes gainées de vinyle mais jamais tu n’auras accès aux parties intimes de Maîtresse. Je t’attacherai pieds et mains et avec lenteur, je m’approcherai au plus près de toi, te frôlant, je te banderai les yeux, tu n’entendras que le sifflement du fouet, ne sachant jamais à quel moment il te chauffera les fesses… Patienter parfois en vain, accepter la frustration en ne t’en remettant qu’à ta Déesse, c’est te résigner aux moments de flottement, accepter ta peur du vide. Tu abandonnes alors toute idée d’objectif, tu perds la maîtrise, admets ton impuissance à agir et tu finis par lâcher prise. De cette expérience, tu en ressortiras plus serein, plus fort.
Bon, je t’entends déjà chouiner, il est vrai que la période Covid te frustre, tu ne peux plus aller au bar, profiter de tes proches autant que tu le souhaiterais, partir en voyage. Sauf que cette frustration-là est subie. En venant chez une dominatrice, c’est toi qui choisis, décides de restreindre ta liberté, le temps d’une séance. Et cela fait toute la différence.
J’ai attendu 44 ans pour assumer totalement ma sexualité, durant ses années je courais de séance en séance de manière pulsionnelle qui m’empêchait d’accepter la frustration.
Et quand on ose se dire qu’on est soumis et bien on découvre se puissant mécanisme du plaisir d’appartenir à une Maîtresse, la frustration…